samedi 20 février 2016

On cause de moi dans l'Avenir...


  


Pour un mec dans mon genre, 50 nuances de gris, ça se fait à la machine à tatouer. Est-ce la raison qui a fait que le photographe de cette inestimable publication (qui voulait, on le comprend, faire une photo différente de celles déjà faites par ces prédécesseurs) me transforme en icône gay?

Pas de quoi fouetter un minou : je rejoins pour l'occasion ces illustres grands anciens du genre que sont Dalida, James Dean et André Pousse.

Mais ne boudons pas notre plaisir : un article sur mon bouquin, c'est toujours bon pour l'ego! 

Petite histoire d'une encre indélébile

par Céline Demelenne

Jean-Michel Snoeck est tatoueur depuis plus de 20 ans. De l’ambiance punk à la clientèle huppée, il livre son point de vue sur l’évolution du métier… Et d’un milieu en pleine mutation.

Stigmate d’une certaine voyoucratie, le tatouage a longtemps véhiculé une connotation marginale. Né dans la rue, il s’est progressivement affranchi de son image transgressive, pour séduire de plus en plus d’adeptes. Jusqu’à "gagner les bras des bourgeois".

Tatoueur à Bruxelles depuis plus de 20 ans, Jean- Michel Snoeck fut le témoin privilégié de cette évolution. Dans son livre intitulé Mémoires d’un tatoueur, il porte un regard sans concession sur ce milieu. En soulignant ses aspérités, sans pour autant négliger le bien-fondé de certains changements.

Voyage au coeur d’un univers étonnant, au parfum d’interdit.

Le code moral des anciens


"À cette époque, il ne fallait pas demander aux tatoueurs d’être des artistes […] juste des copistes."

Comparés à la jeune génération, les anciens tatoueurs passeraient aujourd’hui pour des amateurs. La créativité n’étant pas forcément le maître mot de la profession, il y a une vingtaine d’années.

Si la technique était sans doute perfectible, un aspect primordial a disparu depuis lors : la confraternité. "Les anciens avaient une espèce de code d’honneur, nous explique Jean-Michel Snoeck. Ils m’ont appris qu’être tatoueur, c’était plus qu’un métier." Parmi ces règles éthiques, quelques principes de base.

Comme celui d’éviter de critiquer un autre tatoueur en présence de clients, ou d’installer son studio à proximité de celui d’un collègue. Une entente cordiale, qui semble avoir définitivement disparu.

"Aujourd’hui, on n’est plus collègues mais concurrents. C’est un peu la faute de ma génération, qui a formé trop de gens. Dans le quartier dans lequel je travaille, le nombre de tatoueurs a été multiplié par trois depuis que j’ai commencé. En 2000, on était déjà 40. Aujourd’hui, on est 140 ! Autant dire que le jeune qui veut se lancer arrive sur un marché complètement sursaturé. Ce n’est pas vraiment le monde des Bisounours."

Hygiène : tous aux abris !


Au-delà des difficultés du métier, Jean-Michel Snoeck aborde également les évolutions favorables du milieu. À l’instar des conditions d’hygiène dans les studios de tatouage. Un petit retour dans les années 90 – à l’époque où le tatoueur était alors apprenti – permet de prendre conscience de l’ampleur du changement.

"Les aiguilles, que nous soudions nous-mêmes, n’étaient que rarement changées […] Entre deux tatouages, [elles] trempent simplement dans la “souplette”, une solution de Dettol dans le bac d’un nettoyeur à ultrasons. Les pansements se font à l’essuie-tout de cuisine et au papier collant de bureau."

Une hygiène pour le moins rudimentaire, qui cédera sa place au matériel stérile, tel que nous le connaissons actuellement.


L’engagement comme constante


Si les conditions de travail des tatoueurs – clientèle, infrastructures et concurrence – se sont nettement modifiées,

la passion du tatouage demeure intacte. Et continue de fasciner les amateurs pour une raison : son caractère irrévocable. "Cela reste un acte définitif, un engagement, affirme Jean-Michel Snoeck. Dans une société où on peut changer de carrière à 50 ans, et où on divorce avec une facilité déconcertante, tout ce qui est définitif est finalement devenu assez rare."

Les Editions de L'Avenir, 20 février 2016