Pour un mec dans mon genre, 50 nuances de gris, ça se fait à la machine à tatouer. Est-ce la raison qui a fait que le photographe de cette inestimable publication (qui voulait, on le comprend, faire une photo différente de celles déjà faites par ces prédécesseurs) me transforme en icône gay?
Pas de quoi fouetter un minou : je rejoins pour l'occasion ces illustres grands anciens du genre que sont Dalida, James Dean et André Pousse.
Mais ne boudons pas notre plaisir : un article sur mon bouquin, c'est toujours bon pour l'ego!
Petite histoire d'une encre indélébile
par Céline Demelenne
Stigmate d’une certaine voyoucratie,
le tatouage a longtemps véhiculé une connotation marginale. Né
dans la rue, il s’est progressivement affranchi de son image
transgressive, pour séduire de plus en plus d’adeptes. Jusqu’à "gagner les bras des bourgeois".
Tatoueur à Bruxelles depuis plus de 20
ans, Jean- Michel Snoeck fut le témoin privilégié de cette
évolution. Dans son livre intitulé Mémoires d’un tatoueur, il
porte un regard sans concession sur ce milieu. En soulignant ses
aspérités, sans pour autant négliger le bien-fondé de certains
changements.
Voyage au coeur d’un univers
étonnant, au parfum d’interdit.
Le code moral des anciens
"À cette époque, il ne fallait pas
demander aux tatoueurs d’être des artistes […] juste des
copistes."
Comparés à la jeune génération, les
anciens tatoueurs passeraient aujourd’hui pour des amateurs. La
créativité n’étant pas forcément le maître mot de la
profession, il y a une vingtaine d’années.
Si la technique était sans doute
perfectible, un aspect primordial a disparu depuis lors : la
confraternité. "Les anciens avaient une espèce de code d’honneur,
nous explique Jean-Michel Snoeck. Ils m’ont appris qu’être
tatoueur, c’était plus qu’un métier." Parmi ces règles
éthiques, quelques principes de base.
Comme celui d’éviter de critiquer un
autre tatoueur en présence de clients, ou d’installer son studio à
proximité de celui d’un collègue. Une entente cordiale, qui
semble avoir définitivement disparu.
"Aujourd’hui, on n’est plus
collègues mais concurrents. C’est un peu la faute de ma
génération, qui a formé trop de gens. Dans le quartier dans lequel
je travaille, le nombre de tatoueurs a été multiplié par trois
depuis que j’ai commencé. En 2000, on était déjà 40.
Aujourd’hui, on est 140 ! Autant dire que le jeune qui veut se
lancer arrive sur un marché complètement sursaturé. Ce n’est pas
vraiment le monde des Bisounours."
Hygiène : tous aux abris !
Au-delà des difficultés du métier,
Jean-Michel Snoeck aborde également les évolutions favorables du
milieu. À l’instar des conditions d’hygiène dans les studios de
tatouage. Un petit retour dans les années 90 – à l’époque où
le tatoueur était alors apprenti – permet de prendre conscience de
l’ampleur du changement.
"Les aiguilles, que nous soudions
nous-mêmes, n’étaient que rarement changées […] Entre deux
tatouages, [elles] trempent simplement dans la “souplette”, une
solution de Dettol dans le bac d’un nettoyeur à ultrasons. Les
pansements se font à l’essuie-tout de cuisine et au papier collant
de bureau."
Une hygiène pour le moins
rudimentaire, qui cédera sa place au matériel stérile, tel que
nous le connaissons actuellement.
L’engagement comme constante
Si les conditions de travail des
tatoueurs – clientèle, infrastructures et concurrence – se sont
nettement modifiées,
la passion du tatouage demeure intacte.
Et continue de fasciner les amateurs pour une raison : son caractère
irrévocable. "Cela reste un acte définitif, un engagement,
affirme Jean-Michel Snoeck. Dans une société où on peut changer de
carrière à 50 ans, et où on divorce avec une facilité
déconcertante, tout ce qui est définitif est finalement devenu
assez rare."
Les Editions de L'Avenir, 20 février 2016